Les Part-Prenants de Salies-de-Béarn :
un exemple d'avant-garde sociale et économique
Dès le haut Moyen Âge, dans les archives, on trouve l’existence d’une association de « besis » (voisins) à Salies appelée Corporation des Part-Prenants de la Fontaine Salée. Les habitants groupés autour du sel, richesse naturelle, avaient établi pour réglementer l’anarchie et l’inéluctable loi du plus fort, une coutume de partage de l’eau salée. Cette coutume originale connut plusieurs codifications : la dernière date de 1587. Ce règlement avait quatre objectifs :
Pour être considéré comme Part-Prenant, il fallait satisfaire aux conditions du « Droit du sang » et du « Droit du sol ». À cela s’ajoutaient des précisions drastiques. À titre d’exemples : il fallait habiter à Saliesde-Béarn depuis six mois (sauf pour les militaires) et pour les cadets et cadettes, être mariés. Seuls les hommes pouvaient transmettre ce privilège à leurs enfants. Faute de garçons, la fille aînée étant héritière, elle pouvait donc transmettre à son tour ses parts.
En résumé : « Tout descendant direct et mâle de Part-Prenant a droit à un Compte de Saüce entier. Il est délivré à chaque Part-Prenant vivant un « Certificat de Part-Prenant » et une attestation de propriété. » (…) Ainsi de génération en génération, la Corporation tient à jour les registres des ayants droit depuis plus de quatre siècles.
Aujourd’hui, les registres sont bien entendu informatisés, mais le règlement faisant loi reste le même : « Les descendants de familles salisiennes ayant quitté Salies-de-Béarn, même pendant plusieurs siècles, peuvent devenir Part-Prenants en résidant à Salies-de-Béarn et en apportant la preuve de leur hérédité salisienne ». ²
Ce qui est le plus intéressant lorsque l’on étudie l’histoire des Part-Prenants, c’est son rôle précurseur sur le plan social. Il était prévu dans le règlement, une aide aux malades et aux indigents, la gratuité de la Médecine et des médicaments, la prise en charge financière des études des enfants des Part-Prenants, la création de société de secours mutuels, des prévoyances et des fonds de solidarité pour subvenir aux membres qui auraient à souffrir d’un accident.
On peut presque considérer que la Sécurité Sociale existait déjà à cette époque à Salies-de-Béarn. Toutes ces avancées sociales, cette vision avant-gardiste de l’équité et l’esprit combatif des Part-Prenants pour conserver leur indépendance auraient permis à la Corporation de traverser tous les régimes malgré les multiples attaques. N’est-il pas ironique de constater que même Louis XIV et Napoléon furent obliger de reconnaître le droit des Part-Prenants et de stipuler que la propriété et la jouissance de la Fontaine Salée appartenaient aux Salisiens.
Aujourd’hui, les part-prenants sont toujours les descendants des premiers habitants de Salies et ceux installés à l’autre bout du monde peuvent revenir quand bon leur semble et intégrer le groupe des membres « actifs » à condition de toujours remplir les mêmes engagements de résidence et d’hérédité qu’en 1587. Comme pour qu’un titre soit vendu, il faut nécessairement l’accord de tous, ce n’est pas prêt de changer ! Par contre, il est possible de les mettre à la location. Ainsi l’exploitation de la saline a été confiée en 2010 et jusqu’en 2060 au Consortium du jambon de Bayonne, celle des thermes est à une compagnie gérée par une société d’économie mixte.
Finalement, grâce aux revenus du sel, la Corporation a été le principal organisme de crédit de la ville et le moteur économique de la station thermale. Contrairement à de nombreuses villes qui abandonnèrent l’exploitation des sources salées, la Corporation de la Fontaine Salée a garanti la continuité. Et même si la suppression de l’impôt sur le sel entraîna la fin du monopole de vente, la Corporation a su diversifier son activité pour se relever et créer La Saline en 1841. Vers 1855, avec la vogue du thermalisme et le constat des qualités thérapeutiques des eaux de Salies, un bassin à ciel a été ouvert à la disposition du public. Aujourd’hui le thermalisme, le thermoludisme (salle de sport, piscines et salon d’esthétique) et la production de sel sont les trois activités pivots de Salies de Béarn.
¹ : extrait de Memento du Part-Prenant – Corporation des Part-Prenants, ville de Salies-de-Béarn
² : extrait du Le Livre noir – article du règlement de 1587 (Archives de la ville de Salies-de-Béarn)